Par Youssouf Sériba
C’est incontestablement l’une des meilleures initiatives du secteur éducatif des 2 dernières décennies. Partie d’une bonne intention qui est celle de faire participer la communauté dans la gestion des établissements scolaires publics, 20 ans après leur mise en place, les Comités de Gestion des Établissements Scolaires (Coges) s’écartent de plus de leur objectif premier du fait d’individus qui ont fait des cotisations du Coges leur fond de commerce. Détournement de fonds Coges, entrave aux activités académiques, recrutement parallèle, majoration délibérée des montant de cotisation, affairisme, bras de fer entre les acteurs membres, tels sont entre autres maux qui minent le fonctionnement des Coges. Toutes ces pratiques ont pour seule cause l’envie de faire main basses sur la cagnotte mise en place par les parents d’élèves « afin de pallier aux besoins primaires et prioritaires » pour lesquels on ne peut attendre l’État…
Les origines de l’initiative Coges…
C’est dans le cadre du programme Éducation pour Tous (EPT) lancé en 2002, que l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA) a fait la recommandation politique à l’État d’expérimenter l’implication de la communauté dans la gestion des établissements scolaires sous le modèle des Coges. L’initiative avait été lancée au cours de l’année scolaire, 2002-2003 avec 240 Comités pilotes mis en place à travers les 8 régions du Niger, rapidement, ils sont passés à 1000 l’année suivante, et à ce jour il y a autant de Coges qu’il existe d’établissements scolaires au Niger.

Les acteurs siégeant dans ces structures (parents d’élèves, directeurs d’écoles, les enseignants, les mères éducatrices et le gouvernement scolaire) ont été dans cette période formés sur l’élaboration de plan d’action axé sur la qualité dans le cadre de la mise en œuvre du programme annuel du comité.L’initiative est concluante « L’Expérience du Niger permet d’affirmer que les communautés peuvent être premiers acteurs du développement de l’éducation de leurs pays pourvu qu’elles soient organisées en structures fonctionnelles » indique la JICA dans un rapport rendu public en février 2011. Cependant, c’est précisément à cette période que certaines dérives commencent par avoir cours au sein des Coges au détriment du bon fonctionnement des établissements. Les acteurs commencent alors par abandonner les bonnes pratiques capitalisées sur une décennie.
Selon plusieurs observateurs, c’est sensiblement à cette période qu’il est constaté une augmentation du montant des cotisations qui passent moyennement de 1000 FCFA à 3 000 FCFA. Une situation curieuse dans la mesure où c’est à cette période que le secteur éducatif avait bénéficié d’investissements importants de l’État qui devaient permettre de revoir à la baisse le montant des cotisations. « Entre mai 2011 et octobre 2015, ce sont 905 236 146 755 CFA qui ont été investis dans le secteur éducatif » selon le ministère des Finances ce qui représente 15,45 % des ressources investis par l’État sur la même période tous les secteurs confondus. Si l’on considère que cet investissement dans un laps de temps, est sans précèdent dans le secteur éducatif l’augmentation des cotisations Coges au même moment est inexplicable.

Selon M. Wisslimane Ransanratane, président National de l’Association Nationale des Parents d’Élèves (ANPE), les chefs d’établissement ne jouent pas leur rôle. « Dans la majorité des cas, à 80 %, il n y a pas de transparence dans la gestion des Coges. Ces directeurs d’établissements profitent de l’ignorance des parents d’élèves pour s’accaparer de la gestion des fonds du comité » a-t-il confié. M Wisslimane d’ajouter, « l’arrêté N°000040/MEN/A/PLN/SG qui régit le fonctionnement du Coges interdit que les postes de président et de trésorier soit occupé par le directeur d’école ou un enseignant. Ils sont attribués à la communauté (parents d’élèves et mères éducatrice) pourtant dans la réalité les responsables des écoles violent cette disposition ». Par ailleurs, le président de la faîtière des parents d’élèves fustige « l’augmentation observée ces dernières années du montant de la cotisation qui est fixé de plus en plus de manière arbitraire par les chefs d’établissement alors même que ceci doit être fait suivant un processus qui intègre l’ensemble des partenaires ». Le montant définit doit toujours être le résultat de la somme des besoins primaires et prioritaires de l’école divisée par le nombre de d’élèves. Il ne devait pas excéder 1 500 FCFA pour les écoles primaires et 2 000 FCFA pour le secondaire » apprend-on. À ce jour la moyenne des cotisations est de 2 000 pour le primaire et 3 000 FCFA au secondaire.
Au cours de l’année scolaire 2020-2021 « environ 3 milliards FCFA sont mobilisés au plan national en terme de cotisation du CGDES » nous apprend la Direction Administrative de Gestion des Établissements (ADAGE).

Pour restaurer la discipline et mieux organiser ces comités, le ministère de l’Éducation nationale de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales a pris en févier 2012 l’arrêté N°000040/MEN/A/PLN/SG portant création, attributions, composition, et fonctionnement des Fédérations Communales des Comités de Gestion Décentralisée des Établissements Scolaires (FC/CGDES). Ainsi, ces fédérations communales devraient assurer le bon fonctionnement et la gestion transparente des Coges (désormais appelés CGDES) dans chacune des 5 arrondissements communaux de Niamey et de même dans les 8 régions du pays. Cependant la gestion opaque des comités et les pratiques corruptives ne semblent pas régresser.
Gestion opaque, corruption et détournement…
Aux termes de l’article 9 de l’arrêté N°000040/MEN/A/PLN/SG, les 9 postes du CGDES sont pourvus par élection démocratique par les différents acteurs à l’exception du poste de président et de trésorier qui sont réservés aux membres ne faisant pas partie du personnel enseignant. En dépit de cette disposition dans la pratique, la caisse du Coges (CGDES) est détenue par le directeur d’école ou un enseignant en violation de la loi. Dans certains cas, ces derniers n’hésitent pas à se tailler des ‘’ristournes’’ sur les cotisations, c’est le cas au CES Hima Yankori de Niamey (CEG 3). Dans ce collège d’enseignement qui fait partie des plus anciens du Niger, un nommé GB a durant plusieurs années perçues 200 FCFA sur chaque cotisation sur plusieurs années jusqu’au courant scolaire 2017-2018 où son « business » a pris fin avec la mutation du proviseur de l’époque. Cet enseignant de mathématiques « a fait de la collecte de la cotisation son activité principale à l’école, au-dessus même des heures de cours » nous confie la proviseure du CES Hima Yankori Mme Moumouni Aichatou Mainassara qui avait mis fin à son activité. GB s’est dispensé de la charge horaire normale d’un enseignant de sa catégorie dont la moyenne se situe entre 15 et 21 heures par semaine. Le collecteur de deniers scolaires du CES Hima Yankori « se retrouve avec 5 heures de cours par semaine (soit une classe de TD) le juste minimum lui permettant d’être retenu en fin d’année pour la correction des examens du bac » apprend-on auprès d’une source de l’établissement.

Selon M. Mounkeila Halidou Secrétaire Général du Syndicat National des Agents Contractuels et Fonctionnaires de l’Éducation de Base (SYNACEB), « dans le principe, les enseignants, n’ont rien à voir avec le Coges, ce sont les parents d’élèves et les directeurs des écoles qui s’en occupe ». Pour le SG du Synaceb, les dérives constatées, surviennent « parce que le Coges utilise souvent les enseignants pour faire pression sur les élèves quand ils ont besoins d’argent, et l’enseignant fait juste la collecte de l’argent pour remettre au comité » croit savoir Mounkeila Halidou. Le fond Coges est détourné de plusieurs manières selon les écoles. Des surfacturations sur les commandes, des emprunts rarement remboursés, des collations et des frais de taxi après les réunions ainsi que plusieurs autres avantages pour les membres du bureau, des prétendues aides sociales, la liste est longue. Toutes ces mauvaises pratiques se font dans l’opacité absolue, la preuve « il y a très peu des Coges qui font des bilan en fin d’année et pourtant c’est prévu par les textes » indique MA enseignant à l’école primaire Diori I. Selon lui, «c’est peut etre bien de gratifier, des membres de bureau seulement chaque francs de la caisse Coges correspond à une activité donnée en l’affectant à d’autres utilisation on empiète délibérément au bon fonctionnement des activités scolaires ». Malheureusement, «au moins 50 % du fond Coges est utilisé dans des activités extrascolaires ou détourné » indique notre source. S’agissant du problème de transparence des comités caractérisés par l’absence d’Assemblée Générale, le cas le plus illustratif que nous avons découvert concerne le Coges du CES Hima Yankori. Le comité de cet établissement totalise 11 ans d’existence sans bilan, une violation flagrante de l’arrêté N°000040/MEN/A/PLN/SG qui dispose en son article 7 « les membres du bureau sont élu pour un mandat de 4 ans renouvelable une (1) seule fois ». « Cette volonté de certains invendus à s’accrocher dans les comités est du fait uniquement des avantage qu’ils tirent de la caisse du Coges » selon Wisslimane Ransanratane, président de l’ANPE. « Aujourd’hui quand un chef d’établissement est affecté ou demis, la première des choses qu’il regrette c’est la gestion de la caisse Coges » nous confie M. Wisslimane.

A Maradi, les chefs d’établissements ont fait du Coges une affaire personnelle beaucoup de directeurs d’écoles font la collecte et dépense les cotisations à leurs guise « ils organisent des simulacres d’élections et se font élire alors que tous monde savent qu’ils détournent le Coges » nous apprend M. Abdoul Razak Abdoul Kader enseignant en service enseignant en service à l’inspection 3 de Maradi et Secrétaire Général du Synaceb de la même région. La convoitise que suscite le Coges pousse souvent à des bras de fer et de poursuites judiciaires.
Un Coges devant les tribunaux pour entrave aux activités scolaires et détournement de 800 000 FCFA…
Si dans nombre de cas ce sont les responsables d’écoles qui sont pointés du doigt pour détournements des ressources du Coges, il n’en demeure pas moins que certains parmi eux fonds des efforts pour préserver ces ressources et imposer l’orthodoxie en matière de gestion du Coges. Dès sa prise de fonction en qualité de proviseure du CEG III en septembre 2018, Mme Moumouni Aichatou Mainassara a affiché son intention d’assainir cette école publique de référence. Elle s’est attaquée en premier au Coges de l’Établissement dirigé « depuis plus de 11 ans » par un homme qui n’a curieusement aucun enfant inscrit dans l’école et qui avait usé de la position qu’il détient dans le Coges pour faire obstacle aux initiatives de la proviseure. Selon elle, «ça avait commencé avec les cahiers de charges de l’école. Quand j’ai pris fonction, il n’y en avait pas j’avais donc tout naturellement demandé au Coges de nous en acheter. Ils ont catégoriquement refusé, j’étais obligé de payer, 21 cahiers de charges à 94 000 FCFA avec mon salaire » nous rapporte la Mme Moumouni Aichatou. Les faits se sont déroulés au premier trimestre de l’année. Cette fin de non-recevoir à la demande légitime de la proviseure se voulait une réaction à l’intention de la responsable de l’établissement qui avait interdit la distribution des frais de taxi après les réunions. « Quand je suis arrivé à Niamey après la première réunion que j’ai eu avec ce Coges, ils ont distribué 2000 FCFA par personne comme frais de taxi » nous confie la proviseure. Mme Moumouni Aichatou d’ajouter « J’ai été scandalisé, l’argent du Coges doit servir la bonne marche pas de l’école pas pour distribuer des frais de taxi. Être membre du Coges est bénévole j’avais donc refusé de prendre les 2000 francs et j’avais demandé à ce que la trésorière remettre l’argent à sa place ».

Après cet épisode, le Coges avait été convoqué au commissariat central de Niamey afin d’être écouter sur les raisons pour lesquelles il avait refusé le payement de cahiers de charges pour les activités scolaires. Le bureau avait été alors sommé de rembourser les frais des 21 cahiers de charges apprend-on. Nous avons tenté d’entrer en contact avec ce Coges à travers son SG malheureusement sans succès. L’année suivante (2018-2019) « le Coges est allé jusqu’à faire obstacle à l’organisation de la 2e composition annuelle de cet établissement en juin 2019 en nous refusant les feuilles de copie et les impressions des épreuves » selon la proviseure du CES Hima Yankori qui nous apprend que « 800 000 CFA ont été détourné par ce Coges ». Le tribunal de Niamey est saisi de la question, pendant que l’affaire était en instruction le Gouverneur de Niamey à l’époque M. Hassan Karanta a initié une conciliation qui avait fini par calmer la tension entre les 2 parties. Au rang des maux qui gangrènent les comités de gestion des établissements figurent également le recrutement parallèle dans les établissements publics. Selon plusieurs sources qui se sont confié à nous dans le cadre de ce reportage, les Coges sont pour beaucoup responsables de cette corruption en milieux scolaires.
Coges et recrutement parallèle dans les établissements scolaires….
Selon la Direction Régionale de l’Éducation Nationale (DREN), « 5 189 cas de faux transferts ont été détectés dans les établissements publics à Niamey » au cours de la rentrée scolaire de cette année (2021-2022) entre septembre et décembre 2021. Une école comme le CEG lll a enregistré 519 cas de faux transferts communément appelé recrutement parallèle en 2017 selon l’administration. Si les directeurs d’établissements et les enseignants sont pointés du doigt dans le cadre de cette pratique corruptive, il n’en demeure pas moins que les Coges sont des canaux par lesquels passent ces fraudes.

Selon la proviseure du CEG lll , « les membres des Coges sont les rabatteurs du recrutement parallèle ». Mme avait pris connaissance de cet état de fait au cours de sa première année à la tête du CEG lll. « Quand, je suis arrivé ici, j’avais trouvé un établissement semi-privé. Il y avait 120 à 130 élèves par classe » nous explique Mme la proviseure. Après toilettage de la liste des différentes classes sur la base du document Passage Redoublement et Exclusion (PRE) l’école s’est retrouvé avec une moyenne 35 élèves par classe, 519 élèves arrivés par fraude ont été démasqués et exclus de l’établissement. La proviseure de l’école a reçu une distinction de la Haute Autorité de la Lutte Contre la Corruption et les Infractions Assimilées (Halcia) la même année. Voici la réalité qui caractérise depuis quelques années les CGDES qui dans la majorité des cas servent des individus en lieu et place de l’intérêt de l’école nigérienne qu’ils sont censés servir.
Cette enquête a été réalisée par Youssouf Sériba avec l’appui de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA)