Par Djibril Baré (L’Enquêteur N°3090 du 10 novembre 2023)
Tous ceux qui suivent l’actualité politique et économique du Niger se sont intéressés aux deux (2) audiences de jugement de la Cour de justice de la CEDEAO de ce lundi 06 novembre 2023 des Affaires :
1- Mohamed Bazoum et 2 autres contre l’État du Niger ;
2 – État du Niger et 7 autres contre la Conférence des Chefs d’État de la CEDEAO visant la levée des mesures d’embargo contre le pays.
Ces deux procès à cette Cour dont les verdicts sont attendus très prochainement, nous intéressent au plus haut point du fait que la Famille Baré Mainassara avait sollicité les services de ladite Cour au moins à trois (3) reprises durant les treize (13) années du règne de la « Renaissance », d’avril 2011 à juillet 2023, pour les différentes violations des droits humains qu’elle a eu à subir. Les juges de cette Cour communautaire, triés sur le volet, sont très compétents et rigoureux. C’est pourquoi, elle (la Cour) demeure l’une des rares institutions régionales, voire mondiales, à laquelle les peuples font confiance. En ce qui me concerne, pendant les treize (13) années de pouvoir du régime dit de la « Renaissance », deux arrêts rendus par cette même cour et me concernant directement, ont été royalement ignorés. Sur les deux (2) arrêts rendus qui nous ont été favorables, aucun n’a véritablement été exécuté à ce jour. Ce, malgré de multiples correspondances adressées aux autorités compétentes par le Conseil des Ayants droits des deux affaires pour demander cette exécution. Le Traité révisé de la CEDEAO dispose pourtant en son article 15.4, que « Les arrêts de la Cour de Justice ont force obligatoire à l’égard des États membres, des institutions de la Communauté, et des personnes physiques et morales » et selon l’article 62 du règlement de procédure de ladite Cour « l’arrêt a force obligatoire à compter du jour de son prononcé ».
C’est pourquoi, j’imagine que les juges de cette Cour, en recevant les deux dossiers Nigériens, ont dû se dire : voici l’un de ces Chefs d’État qui mettaient nos décisions dans leurs tiroirs et qui, à présent qu’ils sont en difficulté, viennent nous solliciter pour leur rendre justice. Ces juges n’auraient pas tort. C’est comme l’a dit Nicolas Karamzine : « L’histoire est décidément plus rancunière que les hommes ».
Si le régime de la « Renaissance » avait, un tant soit peu, procédé à l’exécution ne serait-ce que l’un des deux (2) arrêts, M. Bazoum et ses partisans seraient parfaitement à l’aise aujourd’hui, face aux décisions éventuelles de cette cour qui leur seraient favorables.
Pour l’éclairage de la lanterne de nos compatriotes, que disaient ces deux (2) arrêts ?…Décryptage
1 – La recommandation relative au volet pénal de l’arrêt ECW/CCJ/JUD/23/15 du 23 octobre 2015 de la Cour de Justice de la Cedeao sur ” l’Affaire Ayants droits du président Ibrahim Baré Mainassara” ordonnant l’enquête sur la mort du président Baré au nom du droit à la vérité sur la mort du président Baré et de ses trois (3) compagnons d’infortune dont Ali Sahad le cousin de M. Mohamed Bazoum. La Famille Baré Mainassara avait saisi cette Cour du fait du refus de l’État du Niger d’ouvrir une information judiciaire sur l’assassinat du président Baré. L’État invoquait à chaque fois la loi d’amnistie votée par les auteurs, co-auteurs et complices des assassinats, en leur propre faveur, qui empêchait toute enquête sur cet acte ignoble. Par rapport au refus d’une enquête sur l’assassinat du président Baré, le ton avait été donné dès les premiers jours qui ont suivi ce drame. En effet lors d’une interview accordée au journal Le Démocrate dès le 03 mai 1999, soit 24 jours après l’assassinat, M. Bazoum, avait déclaré en tant que vice-président du PNDS Tarreya : « Ce qui s’est passé le 9 Avril (1999) est un coup d’État. A la faveur de cet événement, de nouvelles autorités sont arrivées au pouvoir. Elles se sont engagées à organiser des élections et à remettre le pouvoir à des autorités démocratiquement élues, après une Transition de neuf (9) mois. Il ne semble pas, donc, qu’il y ait dans cette affaire un quelconque mystère qui mériterait d’être éclairé. Une Commission d’enquête me semble toujours être commandée par des exigences d’une clarification, d’un éclaircissement. Or, dans le cas d’espèces, qu’est-ce qui n’est pas clair ? Qu’est-ce qui pourrait sembler relever d’un quelconque mystère sur lequel il y aurait à lever le voile ? Je trouve par conséquent incongrue l’idée d’une commission d’enquête, qu’elle soit nationale ou internationale…… ». Une loi d’amnistie avait en effet été votée dès le 1er janvier 2000, premier jour de la session parlementaire, marquant la fin de la Transition post assassinat. Tous les recours judiciaires de la Famille Baré Mainassara avaient été conséquemment rejetés sur la base de cette loi. L’arrêt du 23 octobre 2015 de la Cour avait tenu à-préciser, au point 54 de son arrêt, que « les lois d’amnistie ne sauraient constituer un voilage forcené du passé, une fin de non-recevoir péremptoirement opposée à toute entreprise légitimement curieuse de connaître la vérité. La loi d’amnistie laisse intact le droit à la vérité…». La Cour avait poursuivi en précisant au Paragraphe 55 de son arrêt : « Il convient donc,…d’affirmer un droit à la vérité pour les victimes. Concrètement, celui-ci se traduit par le devoir des autorités étatiques de mener des enquêtes et investigations relativement aux faits et événements en cause …Il s’agit là d’une obligation minimale, à laquelle l’État du Niger n’a jamais satisfait en l’espèce… ».
Malgré la lettre adressée au président de la République le 20 février 2018 et deux autres correspondances au Procureur de la République en 2020 et 2022, la décision n’a pas été exécutée à ce jour.
2 – L’arrêt ECW/CCJ/JUD/26/10 sur ” l’Affaire Mamane Fodi et 14 autres” du 10 novembre 2020 ordonnant à l’État du Niger, le rétablissement des droits de succession du Lignage Sarkin Aréwa dont le défunt Baré fait partie, affaire pour laquelle j’étais le mandataire des candidats et des chefs de village électeurs. En effet à la suite de la vacance de la chefferie du canton de Tibiri en 2015, un ex ministre de l’intérieur, aujourd’hui parti à l’étranger au lendemain du coup d’État « par des voies clandestines », avait radié, sans motif valable, l’ensemble des quinze (15) candidats du lignage Sarkin Aréwa obligeant ces derniers à saisir la Cour de justice de la Cedeao après avoir épuisé tous les recours internes. Dans ledit arrêt rendu par cette Cour, elle avait en effet dit :
« Ordonne à la République du Niger de prendre les dispositions pour faire cesser la violation des droits de l’homme en rétablissant le droit du lignage de Sarkin Aréwa pour l’élection à la chefferie du Canton de Tibiri….le rattachement administratif des cantons de Douméga et de Nassarawa à celui de Tibiri, (en 1912), laisse intacts les droits successoraux des princes du lignage Sarki Aréwa qui leur viennent de l’Histoire. En effet, le canton de Tibiri est indivisible et les princes Sarkin Aréwa et l’autre lignage jouissent d’un même statut de la chefferie traditionnelle ».
Malgré une lettre adressée à l’autorité compétente en juin 2021, la décision n’a pas connu un début d’exécution à ce jour.
3- L’arrêt ECW/CCJ/JUD/05/21 du 19 juin 2023 rendu par la Cour par rapport à mon propre recours en tant que candidat à l’élection présidentielle 2020-2021, et relatif à la légalité de la candidature de M. Mohamed Bazoum à ladite élection, par lequel, elle s’était « déclarée incompétente pour connaître du litige ».
C’est dans un tel contexte que le verdict de l’Affaire Bazoum, sera livré le 30 novembre 2023, pour lequel trois (3) cas de figures peuvent se présenter :
1- La Cour se déclare incompétente pour juger l’affaire et déclare la requête irrecevable comme dans les précédentes affaires politiques similaires ;
2- La Cour ordonne la libération de M. Bazoum et de sa famille ;
3- Enfin, la Cour ordonne à la fois la libération de M. Bazoum et de son rétablissement dans ses fonctions de président de la République.
Quant au procès de l’État du Niger contre la Conférence des chefs d’État de la Cedeao, son issue est quasi certaine avec la levée qu’elle pourrait aboutir à la levée des sanctions qui ont été déclarées illégales dans un passé récent pour un pays tiers, puisque non conformes aux dispositions du Traité révisé de la Cedeao, du Traité de l’UEMOA et des statuts de la BCEAO ainsi que des conventions internationales ratifiées par les État de la CEDEAO.
Alors questions…
Si les conseils et les partisans de M. Bazoum venaient à obtenir gain de cause sur l’une de leurs demandes, et que l’État du Niger, se comporte comme il s’était comporté au temps des « renaissants », en refusant de s’exécuter, les intéressés, auront-t-ils le courage moral d’élever une quelconque protestation contre les nouvelles autorités du Niger ? Les conseils de M. Bazoum ne craignent-ils pas que les juges de la Cour leur opposent le même argumentaire que celui donné par leur client Bazoum à l’occasion de la mort du président Baré, 25 ans auparavant ? L’État du Niger, ne serait-il pas dans l’embarras, si, d’une part la Cour de justice ordonne à la Conférence des Chefs d’État de lever les sanctions contre lui et d’autre part lui ordonne de libérer M. Bazoum et sa famille ?
L’Histoire est décidément plus rancunière que les hommes…très rancuniers. Nicolas Karamzine a plus que raison.
Djibrilla Baré Mainassara
Ancien Conseiller Spécial du président Ibrahim Mainassaré Baré
Ancien Auditeur interne au Siège de la BCEAO
Candidat à l’élection présidentielle 2020-2021