La junte n’hésiterait pas à tuer Bazoum Mohamed, le Président – otage si la Cedeao tentait d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel. C’est du moins ce qu’un diplomate américain aurait confié à l’agence Associated Press. Il apparaît d’abord que c’est une source de seconde main, donc, dont la véracité n’est pas attestée. Car, ce serait de l’assassinat pur et simple, crime passible de lourdes peines même et surtout à la justice internationale. Les coupables savent à l’avance ce qui les attend, qu’ils soient commanditaires, complices ou exécutants. Le monde est petit. Ensuite, en jetant un coup d’œil à l’histoire politique, peut-on trouver des cas à peu près similaires à celui du Niger ? L’exemple le plus célèbre de l’exécution d’un chef d’État otage est indubitablement celui du roi de France et de Navarre, Louis VI, le 21 janvier 1793, cinq ans après la Révolution française.
Bazoum Mohamed, lui…son image reste plutôt positive”.
Après la chute de la royauté, toutes les monarchies d’Europe, inquiètes sur leur propre sort ainsi qu’à celui du monarque arrêté et séquestré, le 10 août 1792, formulérent le projet grandiose d’entrer en guerre contre le tout nouveau régime républicain. Le 21 septembre 1792, la royauté est en effet abolie en France et la Première République proclamée. Exactement, le même type de circonstances qu’aujourd’hui au Niger, à la différence de taille que c’était une révolution, une insurrection populaire, notamment des sans-culottes, et de quelques figures révolutionnaires issues de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. À cette époque, la bourgeoisie était une classe révolutionnaire, donc progressiste et humaniste. Il ne s’agissait donc point d’un banal coup d’État, précédé d’une prise d’otage comme au Niger contemporain. Louis VI et Marie Antoinette étaient détenus comme otages aux Tuileries et protégés du petit peuple furieux qui menait des raids sporadiques pour les liquider proprement. Bazoum Mohamed, lui, ne suscita pas ce type d’inimities. Bien au contraire, son image reste plutôt positive.
Nul ne peut être condamné sans avoir été jugé”…
Car, en France, les révolutionnaires se portèrent à l’unanimité garants de la vie du Roi et de la Reine, en postulant solennellement qu’ils n’ont point déchu un régime monarchique quasi millénaire pour permettre que se développent des crimes et des violations diverses en dehors de tout procès équitable. Hommes de droit pour la plupart, ces jeunes révolutionnaires avaient assimilé et fait leur le principe juridique anglais de l’habeas corpus : nul ne peut être condamné sans avoir été jugé. Et ils tinrent parole. Jusqu’au bout nonobstant la menace extérieure. Louis VI, désormais appelé Louis Capet, du patronyme de sa lignée, eût donc un procès en bonne et due forme. Il eût ainsi le droit de choisir ses trois avocats et de prendre la parole lui-même devant la Convention, Assemblée nationale, transformée provisoirement en tribunal.
La plus célèbre prise d’otage de l’histoire se termina par une tragédie”…
Le procès, riche en débats, en documents produits par la défense et l’accusation débuta en décembre 1792 pour finir avec l’exécution du roi le 21 janvier 1793, le vote à la condamnation à mort l’ayant remporté de peu (366 voix pour contre 321 pour la détention) et 34 pour la peine de mort avec sursis. Son épouse, la Reine Marie Antoinette, sera jugée en octobre de la même année et exécutée par la guillotine comme le roi lui-même. Les historiens parleront plus tard de leur dignité devant l’échafaud, devant la mort. La plus célèbre prise d’otage de l’histoire se termina par une tragédie, mais les nouveaux détenteurs du pouvoir d’État n’avaient guère l’âme d’assassins froids bien que parmi eux se trouvèrent des officiers, dont les plus connus était sans doute Napoléon et Louis – Philippe, Généraux dans l’armée révolutionnaire en guerre. C’étaient des hommes d’honneur et des hommes de foi qui avaient une haute estime de ce qu’ils légueraient à la postérité et sensibles au châtiment divin.
Pour cette raison, ils ne se comportérent ni en satrapes, ni en hors-la-loi, en agissant plutôt selon les règles de l’art, de manière à faire honneur à leur postérité tout en respectant les règles du nouvel État de droit qu’ils venaient d’installer. Mais, comme dans toute révolution, les ambitions personnelles, les suspicions et les visions politiques finirent par avoir raison du projet révolutionnaire. Les Conventionnels se liquidérent les uns les autres, s’entre – accusèrent jusqu’à ce que, dans cette France, en proie à la guerre contre la puissante Autriche, Napoléon Bonaparte vînt mettre fin à la guéguerre entre les nouveaux tenants du pouvoir.
Dans toute révolution, les ambitions personnelles, les suspicions et les visions politiques finirent par avoir raison du projet révolutionnaire“…
Le soldat, on l’a vu, qui était déjà Général dans les armées révolutionnaires en 1793, fit en effet un coup d’État, le 18 Brumaire, à la suite duquel il se proclama Premier Consul à vie, puis Empereur des Français en 1804. Toutes les grandes figures de la Révolution avaient déjà disparu depuis longtemps : Robespierre fit guillotiner Danton et ses amis, pourtant du même bord politique et lui-même et ses partisans, dont Saint Just, furent quelques mois plus tard exécutés de la même manière par les Dantonistes et alliés en 1794. La Révolution venait de manger ses propres enfants ! Toutes les révolutions se comporteront désormais de la même manière.En Russie, en Chine ou ailleurs.On a vu des coups d’État aussi emprunter la même voie depuis celui de Napoléon à un régime constitutionnel.
La Révolution française est riche d’enseignements. Aussi bien pour les gouvernants que pour les gouvernés”…
Les exemples sont évidemment légion en Afrique. Les révolutionnaires de 1789, qu’ils soient de la Convention ou du Comité de salut public, étaient pour la plupart trentenaires et imbus d’idéaux de justice, de liberté, de droits humains et d’égalité des citoyens devant la loi. Peut-on en dire de même au Niger de nos jours ? Est-ce la voie suivie ? Ils étaient, on l’a vu, de véritables Hommes d’État, ayant à la fois une éthique de conviction et une éthique de responsabilité. Qu’en est-il des nouveaux Prétoriens au pouvoir au Sahel ? Retour à un régime constitutionnel ou incrustation de force au pouvoir ? Culte de l’honneur et de la foi ou esprit de vendetta et fuite en avant? La Révolution française est riche d’enseignements. Aussi bien pour les gouvernants que pour les gouvernés !
Dr Souley Adji, politologue