
« Au sein des tribunaux vous avez des personnes qui n’ont aucune fonction officielle. Ce sont des gens qui connaissent les procédures et ont des connaissances parmi les magistrats. Ces personnes interceptent les gens au sein des tribunaux et leur proposent de l’intermédiation auprès des juges. Ils prennent souvent de l’argent au nom du juge ensuite partent voir ce dernier pour lui demander service pour un parent malheureusement ce sont ces gens qui ternissent l’image de la justice ». Ousmane Baydo, procureur de la République Adjoint.
La gangrène de la corruption obstacle à tout développement n’a pas épargné le milieu judiciaire au Niger. De nombreux témoignages souvent d’acteurs même du secteur judiciaire, rapportent que la corruption a atteint des proportions importantes dans ce milieu sensible, stratégique pour l’édification d’un Etat de droit. En 2018 par exemple une étude de l’Institut National de la Statistique (INS) a mis en exergue le visage hideux de la justice. « 93,2% de la population ayant reconnu l’existence de la corruption dans le système judiciaire ont cité l’usage des pots de vin dans ce milieu » renseigne l’étude. Ensuite, vient« le recours à l’amitié ou aux liens familiaux (50,6%), suivi du recours à la politique (42,6%) ». Qui dit pots de vin dit abus de pouvoir, sur ce plan, le diagnostic par régions classe les tribunaux de la région d’Agadez (au nord du pays) en tête de peloton avec un taux de 50,5%, suivie de Zinder (au centre-est) avec 49,5%, Maradi (au centre) avec 46,4%. Le constat devient encore plus amer, tant l’usage des pots de vin est devenu presque une norme dans la plupart des tribunaux conclut l’étude commanditée par le Ministère de la Justice.
Des rackets opérés par des individus sans fonction dans les tribunaux…
De nombreux citoyens n’ont pas eu besoins d’une quelconque étude pour se convaincre de l’existence de la corruption en milieu judiciaire. C’est le cas de Abdoul Salam Nassirou, 28 ans natif de falmey (région de Dosso dans le sud-ouest du pays) qui garde un « mauvais souvenir » des tribunaux. Ce jeune revendeur a découvert les pratiques corruptives en milieu judiciaire pour la première fois qu’il a eu affaire aux tribunaux. En mars 2018, Abdoul Salam a besoin d’un passeport pour se rendre à Douala (Cameroun) pour rejoindre son frère et y tenter sa chance dans le commerce. Il envoie un dossier à la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) pour l’obtention du passeport. Apres avoir décelé une incohérence entre les informations contenues sur son acte de naissance et celles mentionnées sur son certificat de Nationalité, la DST demande au jeune homme d’aller rectifier le certificat de Nationalité afin de le rendre conforme à l’extrait de naissance. C’est là que commence le calvaire du jeune revendeur. Il fallait retourner au tribunal de Dosso demander une Ordonnance de rectification auprès du juge mais en ce moment précis, Abdoul Salam ne se doutait pas encore de la galère qui l’attendait.

<<Il me fallait le document au plus vite et j’avais un ami qui vendait des cigarettes au tribunal de Dosso c’est lui qui m’a proposé de voir un monsieur qui se fait appeler SD, un agent du tribunal auprès duquel il a pu lui-même obtenir un extrait de naissance quand il voulait se faire établir une carte d’identité. Au tout début ce monsieur m’a exigé vingt et cinq mille (25.000f) prétextant que c’est un document que personne ne pouvait me fournir mais que lui peut le faire>>.

En plus de la somme initialement exigé, le nommé SD continua à rançonner Abdoul Salam pendant plusieurs semaines excipant qu’il faudra faire des démarches à la mairie communale pour l’obtention de la rectification. Ce dernier finira par dépenser toutes ses économies mises de cotés pour le voyage à venir, il a même commencé à demander de l’argent à son frère résident à Douala. Pourtant, « La procédure pour l’obtention d’une Ordonnance de rectification auprès du juge ne saurait coûter plus de 1800f à un citoyen apprend-on. Et cette modique somme constitue des frais de timbres en réalité » nous renseigne Zabeirou Abdoul Hadi, un notaire.
Apres ce témoignage, la question que nous sommes posé est la suivante : les magistrats et les responsables des tribunaux, sont-ils au courant de ces pratiques ? Pour en savoir davantage , nous nous sommes rendus au Tribunal de grande instance hors classe de Niamey où nous avons rencontré M.Ousmane Baydo, Procureur de la République adjoint. Ce magistrat bien connu dans le millieu judiciaire a un important background en matière de lutte anticorruption et infractions assimilées, notamment pour avoir travaillé plusieurs années à la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (Halcia).

« Au sein des tribunaux vous avez des personnes qui n’ont aucune fonction officielle. Ce sont des gens qui connaissent les procédures et ont des connaissances parmi les magistrats. Ces personnes interceptent les gens au sein des tribunaux et leur proposent de l’intermédiation auprès des juges. Ils prennent souvent de l’argent au nom du juge ensuite partent voir ce dernier pour lui demander service pour un parent malheureusement ce sont ces gens qui ternissent l’image de la justice » nous explique le procureur adjoint.

Des brebis galeuses au sein du corps des magistrats…
Si dans nombre de cas ce sont des individus n’ayant aucune fonction officielle au sein des tribunaux qui perçoivent de l’argent au nom d’un magistrat, peut-on en conclure que nos magistrats sont exempt de corruption ? Difficile de le dire car le rapport de l’étude de l’INS sur la corruption en milieu judiciaire révèle que 40,1% des pots de vin en milieu judiciaire sont perçus par les magistrats(voir tableau 1).
En réalité, le problème est beaucoup plus complexe selon le procureur « souvent quand les gens ne comprennent pas, pour eux c’est de la corruption. La complexité de l’appareil judiciaire fait que les dossiers passent par beaucoup de main et prennent souvent du temps » cette situation est souvent mal interprété par le justiciable nous fait savoir M.Baydo. Cependant le substitut du procureur ne nie pas qu’il «y’a des magistrats qui prennent de l’argent par l’entremise de certains avocats, d’autres qui demandent directement aux parties et ceux qui trainent les dossiers à fin qu’on leur donne de l’argent ». Toutefois,« Ceux qui s’adonnent à cette pratique, sont une infime minorité qui malheureusement dégradent l’image de la justice et celle du commun des magistrats qui exerce ce métier en âme et conscience, qui disent le droit en toute indépendance et impartialité » insiste le procureur. Mais certains comportement des brebis galeuses du corps des magistrats affectent l’honneur et la crédibilité du pouvoir judiciaire au Niger.
Un magistrat et une greffière qui flirtent avec le trafique de drogue…

Dans le cadre de la lutte acharnée qu’elle mène contre le trafic de drogue, l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS), a engagé des investigations concernant une affaire de trafic de drogue qui impliquerait des responsables judiciaires. Tout commence par la saisie de 124, 125 kg de cannabis dans la nuit du vendredi 8 janvier à bord d’un véhicule non immatriculé qui a brisé les barrières de la police et celles de la douane de kouré avant d’être rattrapé par les éléments de la police. ” C’est ainsi que le procureur du tribunal de Dosso et sa greffière cités par les suspects appréhendé dans le véhicule transportant la drogue, ont été interpellés et mis en garde à vue le mercredi 13 janvier dernier” nous a confié une source proche du dossier. Une enquête est en cours dans le but de faire la lumière sur cette affaire et mettre la main sur des éventuels suspects indique-t-on du côté de l’Orctis.
Selon une source interne à la police judiciaire, le procureur de Dosso et sa greffière travaillaient en complicité avec des réseaux de trafiquants de drogue à qui ils rétrocèdaient des briques de cannabis saisies et stockées au tribunal de Dosso en vue de leur incinération. Ce dossier du genre inédit , révèle en réalité que la corruption des magistrats a atteint un degré inégalé dans notre pays.
Demain, une justice indépendante…

L’indépendance de la justice est l’un des principes fondamentaux du fonctionnement de tout système judiciaire. Elle se caractérise par la séparation des pouvoirs et des garanties statutaires qui mettent les magistrats à l’abri des pressions et menaces pouvant peser sur leur faculté de juger ou influer leurs décisions. Dans les pays où l’institution judiciaire est assez indépendante, une proportion importante des dossiers de justice concerne des autos saisines des tribunaux, particulièrement les affaires de malversations et des crimes économiques, chose qui est loin d’être le cas au Niger. A ce sujet le substitut du procureur indique…
« La première auto saisine de la justice au niveau de Niamey c’est l’affaire du fond d’aide à la presse,c’est la première »…
Après cette auto saisine, la justice nigérienne va pour la première fois buter à l’insuffisance de moyens et les autos saisine se révèleront hors de portée pour elle. Pour cause, les partisans de Hama Amadou qui était le principale mis en cause dans l’affaire du fonds d’aide à la presse, “avaient produit un document avec des photos d’immeubles. Ils ont transmis ce document au procureur en soutenant que Seyni Omar qui était premier ministre à l’époque en tant qu’agent de l’Etat n’avait pas les moyens de disposer de tous ces biens” rappelle Ousmane Baydo. De ce fait le tribunal de Niamey a levé le pied concernant les autos saisines, faute de moyens et de peur de s’engouffrer dans une spirale de dossiers dont il n’aurait pas les ressources et les facultés d’instruire. Jusqu’à ce jour les tribunaux nigériens ont fait très peu d’autos saisine apprend-t-on. C’est ce rôle de veille que joue la HALCIA dont les prérogatives ont été renforcées en 2016.
Quid la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) ?…

Apres l’adoption de la loi n°2016-044 du 06 décembre 2016 ayant renforcé les prérogatives de la HALCIA, la Stratégie Nationale de Lutte contre la Corruption adoptée par décret n°2018-007/PRN du 05 janvier 2018, a encore conforté la HALCIA dans ses missions de prévention et de lutte contre la corruption. Depuis lors, plusieurs dossiers ont été traités par les services de ladite institution. Pour la seule année 2018, ce sont plus de 180 plaintes et dénonciations portant sur des infractions diverses qui ont fait l’objet d’investigation contre une centaine en 2017. Si ces chiffres témoignent d’un regain de confiance et d’estime des citoyens vis-à-vis de la HALCIA il n’en demeure pas moins que les nigériens attendent toujours plus de l’autorité de lutte contre la Corruption.

Les enquêtes réalisées par la HALCIA concernent plusieurs domaines structurels de l’Etat, notamment économique, sanitaire , et la gestion administrative. Cependant, on peut se demander pourquoi l’autorité de lutte contre la corruption ménage le système judiciaire alors même qu’elle y est tacitement saisie? C’est en tout cas ce que pense Moumouni Bachir Hadizatou étudiante en 2e année anglais, à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. « Aujourd’hui, tout est régit par la corruption au Niger, on ne peut rien faire sans qu’on ne nous exige de l’argent où une faveur sexuelle(…) si tu veux obtenir un papier à la justice on te demandera de l’argent, dans ce contexte nous ne pouvons qu’encourager la HALCIA dans son travail de lutte contre la corruption ».

A l’Université Abdou Moumouni de Niamey, tous les étudiants que nous avons interviewés ont connaissance de l’existence de la HALCIA. Et même si la plupart sont satisfait du travail du gendarme de la lutte anticorruption, certains sont quelques peu déçus du classement sans suite de certains dossiers. Boubacar Maman en fait partie, étudiant à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines en 1ere année sociologie, il estime « la HALCIA a fait beaucoup de choses dans le cadre de la lutte contre la corruption, elle a fait annulé des concours truqués dans ce pays, mais nous voulons qu’elle fasse davantage par exemple il faut qu’elle arrive à sanctionné les membres du gouvernement qui détournent les deniers publics » clame le jeune étudiant en situation d’handicape.

La lutte contre la corruption à du chemin à parcourir, à l’avant-garde de ce noble combat, la HALCIA dont le nom à lui seul fait trembler de peur dans certains milieu, a le devoir d’élargir son champs d’action conforment aux attente de la population. Cette même population, qui subit les affres de la corruption, dans les transports, dans les centres de santé et jusque dans des endroits insoupçonnés tels que les tribunaux.
Une enquête réalisée par Youssouf Sériba