
Par Youssouf Sériba
L’enlèvement des personnes dans la région du Manga est, sans doute, l’information la mieux partagée. Cependant, le phénomène constitue un tabou que personne ne veut violer par crainte des représailles qui pourraient en découler. Chose, qui rend difficile le traitement médiatique de ce sujet. C’est dans ce contexte que nous avons pu recueillir des témoignages non sans avoir risqué notre sécurité …
Depuis deux (2) ans, la situation sécuritaire à Diffa connaît une relative accalmie. Le gouvernement, bien que demeurant vigilant, adopte une posture triomphaliste, certains ministres plénipotentiaires du régime n’hésitent pas à affirmer que Boko Haram est vaincu dans la région de Diffa. Ce discours s’appuie sur un constat plutôt simpliste, les attaques de front et celles de types guérilla se font de plus en plus rare et la vie économique tente de reprendre son cours normal. Cependant, dans le même temps, la population vit sous la menace d’un nouveau phénomène devenu récurent : les enlèvements de personnes contre rançon. Cette nouvelle forme d’insécurité qui ne semble pas trop préoccuper le gouvernement génère tant de morts dans le silence des autorités locales. On estime à 28, le nombre de personnes tuées au cours des trois (3) derniers mois et plusieurs dizaines de millions de Naira gracieusement versés à des ravisseurs qui, parfois, empruntent l’étendard de Boko Haram pour profiter d’un phénomène qui devient un véritable business lucratif. L’Éclosion s’est transportée à Diffa pour enquêter afin de crever l’abcès d’un tabou auquel même les autorités locales ne dérogent pas. Si certains gardent le silence par crainte de représailles, pour d’autres, fatalistes, c’est un phénomène contre lequel on ne peut rien tant que la région ne connaîtra pas une véritable relance économique sitôt.
Les origines d’une stratégie résiliente….
Après l’insurrection de Maiduguri, au Nigéria, en juillet 2009 qui a vu la mort du chef fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf, avec un millier de combattants tués par l’armée nigériane, la région de Diffa a été un territoire de repli pour la secte qui a progressivement répandu l’idéologie de la violence. A partir de 2015, la région de Diffa a subi les premières attaques de front de Boko Haram. En avril 2015, une attaque des éléments de ce groupe terroriste dans l’île de Karamga a fait 100 morts, 21 disparus du coté des forces de défense et de sécurité (FDS) et 26 civils tués, violemment abattus. Cette attaque de Karamga aura permis au gouvernement de mesurer la capacité de nuisance de l’ennemi qui était alors au summum de sa puissance. Puis, à partir du mois d’août 2015 intervient une vaste opération de déplacement des populations initiée par le gouvernement sur proposition de l’armée, apprend-on de sources officielles. Cette opération qui sera accompagnée d’un certain nombre de mesures dont, entre autres, l’interdiction de la production du poivron – l’or rouge de la région – et la pratique de la pèche dans les eaux du Lac Tchad ainsi que sur le littoral de la Komadougou. Ces deux activités, poumons de l’économie de la région de la région de Diffa, hélas, alimentent aussi les factions de Boko Haram qui perçoivent une part importante des revenus sous forme de dîmes et taxes. En 2014 la filière du poivron a généré, à elle seule, neuf (9) milliards de franc CFA selon la direction régionale (Diffa) de la statistique.
Ces mesures radicales prises sur la base de la loi N°98-24 du 11 août 1998 portant réglementation de l’état d’urgence ont profondément mis à mal les droits humains et fragilisé la population. Mais elles étaient le prix à payer pour réduire l’hégémonie de Boko Haram qui, à l’usure, voit sa puissance considérablement réduite. La délocalisation des communautés des villages sous contrôle de Boko Haram et l’interruption des principales sources de financement (pêche, production du poivron etc.) de la secte dans la région de Diffa, sans doute, ont permis d’affaiblir l’ennemi.
Nous payons pour impôt 400 Naira (environ 700 franc Cfa) pour un sac de poivron produit et 900 Naira (1000 franc Cfa) pour le sac de poisson séché
Elhaj Abdoulaye
nous confie Elhaj Abdoulaye, un patriarche déplacé de Baroua, village la commune rurale de Kabléwa. À Baroua tout producteur est obligé de verser ces taxes au risque de voir sa production nuitamment pillée par les éléments de Boko Haram, nous explique le patriarche. La pêche et la production du poivron ont repris dans certaines localités de la région à partir de septembre 2017 et, depuis lors, les factions de Boko Haram ont trouvé un exutoire dans les enlèvements contre rançon.
Ils ont tué mon fils (…) exigé 4 millions de Naira pour mon libérer père…
Arimi

Arimi est natif de N’gagam, une localité de la commune rurale de Gueskerou, éleveur Boudouma a 34 ans, il est père de 5 enfants. Son fils aîné, Ibrahima, a été égorgé par les éléments de Boko Haram, le 9 décembre 2019 après avoir été enlevé lui et son grand père Malam. Ce dernier sera libéré contre rançon.
Nous avons croisé Arimi dans une localité située à moins de 50 km de diffa où il vit désormais avec sa famille. Le visage sombre, il nous relate le souvenir atroce d’un soir où sa vie a basculé à jamais.
Il était 21 heures passées d’une trentaine de minutes lorsque des individus armés ont fait irruption chez mon père alors qu’il s’apprêtait à dormir. Ils l’ont violenté, lui et mes trois (3) enfants qui vivaient avec lui, après avoir saccagé toute la maison ils ont sorti tout le monde dehors et ont mis le feu à la demeure. Ma mère a beaucoup pleuré, impuissante elle a vu mon père se faire enlever avec Ibrahima. La même nuit, ils ont tué mon fils à quelques kilomètres de chez moi. Puis, ils m’ont appelé vers 23 heures 30 me sugerant d’aller prendre le corps de mo n fils au point d’eau. J’ai réveillé ma femme qui était souffrante le choc fut énorme, elle aimait beaucoup Ibrahima. Le lendemain les ravisseurs m’ont rappelé à 11 heures pour exiger quatre (4) millions de Naira (environ 6.450.000f Cfa) pour libérer mon père. Ils m’ont donné un ultimatum d’une (1) semaine, ce délai dépassé, ils le tueront et après, ça sera mon tour, ont-ils prévenu
Arimi
La vie de Malam a été préservé, Arimi a vendu tout le troupeau de la famille et mis à contribution les communautés Boudouma et peule dont sa mère est issue. Le samedi 14 décembre dernier, la rançon a été mobilisée comme prévue, quant au moyen par lequel le versement a été effectué, Arimi n’en dira pas un mot :
j’ai déjà pris trop de risque en vous racontant mon histoire
Arimi
dit-il. Arimi et sa famille ont quitté N’gagam depuis ce douloureux évènement, lui et son père tentent de rattraper leur fortune perdue dans le commerce de poisson.
Le silence, une règle vitale à Diffa…
L’enlèvement des personnes dans la région du Manga est, sans doute, l’information la mieux partagée. Cependant, le phénomène constitue un tabou que personne ne veut violer par crainte des représailles qui pourraient en découler. Chose, qui rend difficile le traitement médiatique de ce sujet. C’est dans ce contexte que nous avons pu recueillir des témoignages non sans avoir risqué notre sécurité. Ce qui rassure nos sources, c’est de savoir que les informations qu’elles nous donnent de même que les témoignages seront couchés sur du papier (avec un certain nombre de garanties dont l’anonymat) pour leur sécurité et non publiées en son et images comme beaucoup le redoutent. C’est ce qui a rassuré Issa, lui aussi, victime du phénomène. Kanuri d’une trentaine d’années, il habite dans un village situé à une quinzaine de kilomètres de Kablewa. Son père – que nous nommerons Kassoum pour préserver son anonymat – est notable du village dont ils sont issus. Depuis son enlèvement en mai 2019, Issa a regagné Diffa ville où il vend des petits articles au grand marché. Il a dû verser toutes ses économies à ses ravisseurs pour sauver sa vie, après avoir été Kidnappé.
Il était 17h, je rentrais à la maison avec le troupeau lorsqu’ils m’ont intercepté. Je pratiquais alors l’élevage, mais le troupeau dont j’avais la garde ne m’appartenait pas. Ils étaient 8, ils m’ont attaché à un arbre et m’avaient longuement interrogé avant de me demander le numéro téléphone de mon père que je le leur avais donné. Ils l’on appelé et ont exigé un (1) millions de Naira (environ 1.620.000 f Cfa) contre ma vie. Mon père s’est démerdé et en cinq (5) jours il a mobilisé la somme. Ils lui ont passé le contact d’un autre éleveur du village qui est bien connu. C’est lui qui a perçu la rançon pour les ravisseurs et, avant de me libérer, ils ont demandé à mon père de même qu’à moi-même de dire aux habitants du village que j’ai été libéré sans rançon
Après avoir analysé ce témoignage, confronté avec d’autres témoignages recueillis, tout semble indiquer que ses ravisseurs étaient un gang comme on en trouve à Diffa qui se font passer pour des éléments de Boko Haram. Du reste, ils sont très organisés.
Le modus operandi des factions de Boko Haram est marqué par le seau de la violence.
Les Boko Haram visent très souvent les commerçants ou des riches patriarches mais rarement des éleveurs. Dans la plupart des cas, ces derniers sont leurs complices. Ce sont eux qui perçoivent les rançons pour les factions de Boko Haram et ils représentent, dans certains villages, les yeux et les oreilles du groupe terroriste
Boukary
nous confie Boukary, agent de terrain d’un organisme international quotidiennement en contact avec les différentes communautés dans la région. Les yeux et les oreilles de Boko Haram, ce sont eux qui ont livré Boulo, Lahadi et Boulama, trois (3) jeunes qui ont été enlevés dans la nuit 21 février 2020 dans une localité située à une trentaine de kilomètres de Diffa. Lahadi et Boulama ont eu moins de chance ce soir-là, ils ont été égorgés par les ravisseurs.
Ils ont été accusés d’indiscrétion, ça fait déjà quelques jours qu’ils sont en train de les chercher. Boulo lui, est juste une victime collatérale qui a eu la malchance se retrouver avec les deux malheureux
Kassoumi
nous a fait savoir Karoumi, beau-frère de Boulo, planton d’un service public dont nous terrons le nom. Boulo s’est engagé à payer trois (3) millions de Naira (soit un plus 4.850.000) pour sauver sa vie.
Le silence complice des autorités…
Le phénomène des enlèvements de personnes constitue une véritable épine dans le pied des autorités et élus locaux qui sont, souvent, eux-mêmes victimes du phénomène. C’est le cas de Boulou Boukar député national de la région de Diffa dont la mère et la sœur ont été enlevées il y a plus de deux ans et libérées en septembre 2018 contre une rançon de 20 millions de Naira (soit 34 millions de franc Cfa), selon des sources non officielles. M. Abari Daouda maire de Kablewa enlevé, vous vous rappelez, avec son épouse le 19 octobre 2019 à leur domicile seront libéré le 1er janvier contre une rançon dont le montant n’a pas été communiqué, certaines sources parlent d’une centaine de millions de francs Cfa. Lorsque nous l’avons contacté pour en savoir plus il n’a pas souhaité parler du sujet. Ce silence des victimes n’est compréhensibles eu égards a la capacité de renseignement des factions Boko Haram qui ont des yeux et des oreilles dans tous les villages au sein de toute les communautés. Cependant le laxisme pressent des autorités locales sur la question fait prospérer le phénomène, et les victimes ne savent à quel saint se vouer. Peut-on envisager la fin des enlèvements contre rançon lorsque les autorités locales elles-mêmes versent d’énormes bourses pour se tirer discrètement d’affaire pendant que rien n’est fait sur le terrain pour mettre fin à ce phénomène qui n’a que trop duré. Pour Mahamadou Mara, Journaliste de la région de Diffa qui suit la question de prêt
Le phénomène de l’enlèvement des personne contre rançon est née de la démission de l’Etat qui n’est pas présent dans certaines localité de la région. Par ailleurs il n’y a plus d’activités génératrices de revenus pour occuper les jeunes dont beaucoup ont perdu leurs ressources du fait de la guerre, nombreux collaborent avec les enleveurs parce qu’elles gagnent de l’argent
Mahamadou Mara
nous a-t-il expliqué. Comme pour dire que le rapt des personnes a des beaux jours devant lui, tant les autorités locales rechignent à affronter ce phénomène qui terrorise les communautés. Les victimes inaudibles du pouvoir central souffrent et comptent leurs morts en silence. Des voix malheureuses qui se vautrent dans le silence des quelques 1400 kilomètres qui séparent le manga de la capitale Niamey.