Niger: le saut dans l’inconnu !

Editorial

De quoi demain sera-t-il fait ? Au Niger, difficile de répondre à cette question. Même les plus optimistes, c’est-à-dire ceux qui voient à travers le coup d’Etat du mercredi 26 juillet 2023, l’événement libérateur ne semblent, jusque-là, pas totalement convaincus d’être véritablement au point de départ de la souveraineté retrouvée qu’ils appellent de tous leurs vœux. Un saut dans l’inconnu !

A Niamey, le nouvel hymne national « L’honneur de la Patrie » sied bien à l’événement en cours ; dira-t-on. Pour ces adolescents que nous avons rencontré à la sortie du SGK (Stade Général Kountché) entonnant vers et rythme de cette cantique, le coup d’Etat du Général Tiani Abdourahamane est bel et bien annonciateur de la fin de l’exploitation du Niger par la France et mérite cette superbe orchestration.

Mais l’hymne national, ça ne se mange pas. Après la grandiose manifestation à laquelle ils viennent de participer dans l’antre du SGK en soutien à la Junte, Issaka, 17 ans, élève en classe de 1ère au lycée Kouara de Niamey et ses camarades projettent d’aller rejoindre l’animation des brigades de veille citoyenne. En effet, depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023, c’est cette milice de volontaires en soutien à l’action dite libératrice du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) qui garde la Capitale. Contrôles et fouilles de voitures à plusieurs carrefours de Niamey, à partir de 23 h, c’est là la mission qu’elles se sont données.

Et, vraisemblablement, elles sont la caution des nouvelles autorités. Le CNSP en a besoin pour garder la ferveur populaire. C’est aussi son épouvantail non seulement contre l’intervention militaire que projette la CEDEAO mais également pour alimenter la peur chez les militants et sympathisants du régime renversé notamment ceux qui seraient tentés de manifester leur mécontentement. Et ça marche ! Du moins pour l’instant ! Jusqu’à quand ? Tant que l’offre du CNSP cadre avec la demande souverainiste des pro-putschistes, tout va aller dans le sens de conforter les relations entre les militaires au pouvoir et leurs soutiens. Par ces communiqués successifs fracassants à la malienne dénonçant les agissements d’une Puissance Etrangère qui n’est autre que la France, l’offre du CNS répond parfaitement à la demande dite souverainiste de sa rue.

Seulement la souveraineté aussi, ça ne se mange pas. Autrement dit, il faut nourrir toutes ces brigades de veille citoyenne. Qui les finance ? Et pour combien de temps cela va durer ? Vrai ou faux, on parle de strapontins tirés des caisses de l’Etat sous asphyxie distribués aux têtes de groupe de ces milices urbaines qui se chamailleraient d’ailleurs autour du partage. Qui est con ? Il faut se remplir les poches et la panse pour garantir un lendemain incertain. Mais attention au revers de la médaille. Si l’ecosystème international venait à légitimer le coup d’Etat du Niger, alors tout redeviendra normal, et, conséquemment, sera fermé le robinet pour ces brigades de veille citoyenne qui seront appelées à s’auto-dissoudre. N’est-ce pas là une autre paire de manches ? En effet, comment annoncer la fin de la récréation à cette jeunesse désœuvrée mobilisé pour la cause du CNSP entretenue sur le dos du trésor public ? La Junte doit y réfléchir dès maintenant avant qu’il ne soit trop tard. Pour ce faire, elle doit très tôt arrêter cette réponse de milices sécuritaires comportant d’énormes risques de dérives préjudiciables à la paix sociale, à la cohésion, voire même à l’unité nationale. C’est plutôt du travail décent qu’il faut trouver comme occupation à cette jeunesse errante et non de l’oisive

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Puisque le CNSP a osé interrompre le processus démocratique, coupant ainsi toute assistance extérieure, il doit assumer toutes les responsabilités. Ces responsabilités sont : garantir la sécurité de ses concitoyens et leurs biens et leur libre circulation, sur les 1 267 000 km² de superficie ; former et équiper les forces de défense et de sécurité ; assurer la continuité des services publics (santé, éducation, eau, hygiène, assainissement) ; payer les salaires des fonctionnaires et les pécules des contractuels à terme échu ; assurer la fluidité des importations et exportations de l’Etat et des opérateurs économiques ; procéder à la vente à prix modérés des céréales et à des distributions gratuites des vivres en direction des personnes vulnérables ; construire des classes, des centres de santé, des routes et des infrastructures hydrauliques ; moderniser les villes du Niger ; offrir aux Nigériens des commodités d’une vie normale ; etc. C’est dans ça qu’était le régime du président Bazoum avec ses forces et ses faiblesses lorsque sont intervenues les événements du 26 août 2023. Désormais sans partenaires, sous embargo de ses voisins, coupé presque du monde, le régime du CNSP sera-t-il capable de faire mieux que son prédécesseur ?

Omar Kane Directeur de publication Le Hérisson Hebdo